Mesdames, Messieurs,

Je suis médecin, vice-président de l’association « Vietnam, les enfants de la dioxine » et je reviens d’un voyage d’un mois au Vietnam où j’ai rendu visite à plus de 100 enfants lourdement handicapés pour la plupart, vivant au Nord et au Centre Vietnam, dans des institutions ou dans leurs familles, à Hanoi, Hué et Da Nang et dans les provinces alentour, une douzaine de provinces en tout.

Je connaissais déjà certains de ces enfants, j’en ai rencontré de nouveaux et je reviens toujours aussi ému par ceux que j’ai vus. Ce n’était pas une découverte, puisque je suis allé assez régulièrement au Vietnam depuis 1994 où c’était mon onzième séjour. Nous travaillons en relation étroite avec la Croix Rouge vietnamienne à tous les niveaux, avec la VAVA (Association Vietnamienne de Victimes de l’Agent orange) et avec des institutions diverses d’aides aux familles ou de recherches médicales et génétiques (OGCDC de Hué par exemple) et avec des confrères médecins locaux.

Les enfants présentent des handicaps divers : sensoriels (aveugles, sourds), des troubles moteurs (de la statique, de la marche), des atteintes cérébrales (retards mentaux plus ou moins graves, hydrocéphalies), des anomalies de croissance (nanisme, gibbosité, inégalité des membres supérieurs ou inférieurs), des anomalies de la face (bec de lièvre, nez ou maxillaires incomplets), des affections cutanées sévères incurables, des anomalies cardio-vasculaires plus ou moins invalidantes, curables chirurgicalement ou non, mettant souvent leur vie en danger, des absences de globes oculaires, de mains, de pieds, de membres….

Ces enfants auxquels nous apportons aide financière, bourses d’études ou règlement d’interventions chirurgicales ne sont pas tous des victimes potentielles de la dioxine, il y a parmi eux des trisomiques, des infirmes moteurs-cérébraux comme on en trouve dans tous les pays, mais au Vietnam le nombre global d’handicapés semble supérieur, le type d’anomalies est particulier, je pense par exemple aux phocomèles, ceux qui ont une absence totale ou partielle de membre supérieur ou inférieur, qui rappellent les estropiés de la thalidomide dans les années soixante dans les pays où ce produit, jugé anodin, avait fait des ravages. Il y eut alors reconnaissance obligée d’une intoxication chimique, médicamenteuse.

La dioxine, poison extrêmement puissant, sous-produit de la fabrication des herbicides et défoliants utilisés par l’armée américaine au Vietnam dans les années 1961-71 est reconnue par l’OMS (Organisation Mondiale de la Santé) comme produit cancérigène et l’Académie de médecine des Etats-Unis a par ailleurs établi des listes d’affections susceptibles d’être provoquées par la dioxine, remises à jour tous les deux ans.

Ce sont des notions bien connues. L’utilisation des herbicides et défoliants, dont l’Agent orange, le plus tristement célèbre, comme armes de guerre ( une arme est un instrument qui sert à attaquer ou à défendre) semble bien avoir eu des conséquences lointaines.

Sinon comment expliquer la reconnaissance des risques encourus par les vétérans américains, canadiens, sud-coréens, australiens, néo-zélandais par leurs gouvernements respectifs et les compensations financières qui en découlèrent ?

Sinon comment expliquer la récente prise en charge par les Etats-Unis de la décontamination de l’emplacement de l’ancienne base militaire à Da Nang ?

Des questions restent en suspens :
- le risque tératogène, c’est à dire la reproduction de malformations monstrueuses, existe-t-il pour les 2ème et 3ème générations et les suivantes, après l’imprégnation massive d’une partie du territoire du Vietnam par la dioxine il y a plus de 40 ans ?
- ou plutôt ce risque s’est-il déjà concrétisé ?

Il existe une discordance nette entre l’attitude actuelle de la majorité de la communauté scientifique qui conteste la notion de risque tératogène lié à la dioxine et le doute que fait naître la vision de victimes bien réelles et de leurs descendants au Vietnam.

Je vous remercie de votre attention.

Dr Jean Meynard Vice-président de l’association « Vietnam, les enfants de la dioxine » Paris, le 15 mai 2009